J'ai un handicap visuel de naissance, de sorte que, quand j'ai eu 6 ans, j'ai appris à lire et à écrire en braille. Quand j'ai étudié l'anglais ou l'allemand, cela a été facile, puisque nos alphabets sont identiques, et ainsi leurs versions brailles le sont-elles tout autant.
Cependant, lorsque j'ai souhaité apprendre des langues dont le système alphabétique diffère du système français, tels que le russe, le grec ancien ou le coréen, j'ai dû me former à de nouveaux alphabets brailles. Voici un aperçu de ma rencontre avec le braille coréen.
Petite histoire du braille coréen
L'alphabet coréen, appelé 한글 (hangeul), signifiant « grande écriture » ou « écriture coréenne », fut inventé en 1443 puis promulgué en 1446 par le Grand Roi Sejong. Il venait remplacer les caractères chinois (les hanja) dont l'apprentissage, réservé à une élite, s'avérait d'une grande complexité. Célébré le 9 octobre, journée du hangeul, il est aujourd'hui l'un des symboles de l'identité et de l'indépendance coréenne.
Le braille coréen, appelé 점자 한글 (jeomja hangeul), littéralement « écriture en points », fut tout d'abord enseigné en 1894 par Rosetta Sherwood Hall, une missionnaire américaine, à des jeunes filles malvoyantes de Pyongyang. Le braille enseigné était le braille américain utilisant seulement 4 points, et non les 6 points que nous connaissons et employons de nos jours en France et dans la plupart des pays du monde.
En 1920, durant la colonisation japonaise, un enseignant du nom de Park Doo-sung inventa en secret une version coréenne de l'alphabet braille. Une entreprise périlleuse puisque la seule langue alors autorisée était le japonais.
Plus tard, en 1947, Lee Jong-deok, un enseignant issu d'une école pour personnes malvoyantes de Séoul, améliora ce système braille jusqu'à obtenir la version standardisée que nous lui connaissons actuellement, celle étudiée en République de Corée et que j'ai moi-même apprise.
Une journée du braille est célébrée chaque 4 novembre en Corée, un moment parfait pour découvrir le braille coréen à travers des stages et activités organisés par plusieurs structures et bibliothèques du pays.

Mon parcours avec le coréen
Mon parcours avec la langue coréenne ne s'est pas imposé comme une évidence. Pendant 7 ans, j'ai tenté de l'apprendre oralement, en m'appuyant principalement sur des vidéos YouTube et la musique que j'écoutais. Néanmoins, c'était loin d'être suffisant, ni même véritablement efficace.
Quoique le coréen ait longtemps été une langue majoritairement orale, il m'est rapidement apparu qu'il me fallait développer les compétences écrites pour pouvoir dépasser l'étape des premiers balbutiements. Cela m'est propre, mais je suis également plus à l'aise à l'écrit qu'à l'oral.
Obtenir l'alphabet braille coréen sur Internet est plutôt aisé. Apprendre à le déchiffrer et à l'utiliser convenablement est une autre paire de manches, tout comme trouver un.e professeur.e capable de me l'expliquer, puis de me donner des cours en l'employant dans ses leçons.
Après plusieurs mois de recherches, j'ai enfin mis la main sur le contact d'une professeure de coréen qui se proposait de se former au braille coréen, de se procurer les ressources nécessaires (alphabet, traducteur en ligne, documents pédagogiques…), et finalement de me l'enseigner. C'est fin 2022 que mon apprentissage du coréen a vraiment pu débuter.

Présentation du braille coréen
Le braille pratiqué aujourd'hui en République de Corée utilise 6 points, c'est-à-dire les 6 points constituant la cellule braille telle que pensée par Louis Braille en 1825. Mathématiquement, cela laisse 64 combinaisons possibles de points afin de retranscrire les 24 lettres de l'alphabet coréen, ses 10 voyelles et 14 consonnes, ainsi que les signes de ponctuation. Les chiffres, quant à eux, continuent à s'appuyer sur le système international en 4 points, à la différence du braille français qui en utilise 6 dans sa forme officielle (en vérité, le braille français, jugé très prudent, s'appuie sur un système numérique qui lui est propre et qui le différencie de tous les autres ou presque).
64 combinaisons, c'est peu. La plupart des combinaisons sont donc similaires à ce que l'on retrouve dans la formation de l'alphabet latin usité en France. Pour donner une idée de ce que cela suppose, il faut s'imaginer, par exemple, que le H français correspond au son "T" en coréen, le C au son "N" ou "NA". À noter qu'un signe en braille coréen peut correspondre à un son ou à une syllabe complète.
Aujourd'hui, il me faut faire preuve d'une certaine gymnastique mentale pour passer du braille français au braille coréen, et interpréter les signes brailles selon l'alphabet de l'une ou l'autre langue. Après trois ans et demi de pratique, cela m'est devenu instinctif. Toutefois, il arrive encore que la fatigue me pousse à interpréter les signes brailles coréens comme les signes français, et inversement. Mon plus grand défi reste quand les deux alphabets, latin et coréen, sont mélangés dans un même texte.
Quelques subtilités du braille coréen :
-Le signe « ㅇ » n'existe pas.
-La plupart des consonnes fonctionnent en miroir : une consonne se place à droite ou en haut de la cellule braille en début de syllabe, à gauche ou en bas en fin de syllabe.
-Il existe des abréviations officielles pour certains sons ou mots courants, tels que 그리고 geuligo (et) ou 그래서 geulaeseo (donc).
-Même les signes de ponctuation diffèrent : ainsi, le point d'interrogation est représenté par une parenthèse ouverte, la virgule par un symbole inexistant en braille français.
Le braille coréen en Corée
Il y aurait actuellement 250.000 personnes malvoyantes ou non voyantes en République de Corée. Quoiqu'il soit toujours possible de s'améliorer, Séoul est une ville plutôt accessible pour les personnes en situation de handicap visuel.
Si vous y prêtez attention, vous remarquerez des indications en braille à de nombreux endroits stratégiques de la vie courante. Ainsi, lors de mes différentes sorties dans Séoul, j'ai repéré plusieurs occurrences du braille sur mon parcours. Par exemple, le métro regorge d'informations en braille que l'on rencontre en laissant glisser ses doigts sur les rampes des escaliers menant aux quais ou aux sorties, renseignant la personne malvoyante sur la direction qu'elle s'apprête à emprunter.
Les bornes pour passer sa carte de transport, les feux piétons, les ATM ou encore certains toilettes arborent quelques signalétiques en braille. Le document d'accueil obtenu lors de ma visite du Musée National de Séoul m'a également été fourni en braille, et de façon plus sporadique, dans les supérettes, les cups de nouilles indiquent parfois leur ingrédient principal, tandis que la marque de bière Terra se distingue par l'ajout du nom de la marque en braille sur le dessus de la canette. D'ailleurs, la prochaine fois que vous aurez une course à faire, laissez courir vos doigts sur n'importe quelle canette, vous sentirez certainement quelques pointillés sur l'opercule : il s'agit de la mention 음료 eumlyo (boisson) présente presque partout.

Ma visite de la Korean Braille Library
Je terminerai cet aperçu du braille coréen par ma découverte de la Korean Braille Library, où j'ai eu la chance de me rendre avec une amie interprète pour une visite privée, le 4 novembre 2024.
Il existe en effet plusieurs bibliothèques accessibles pour différents publics handicapés, et notamment la Korean Braille Library spécialisée dans l'adaptation de documents en braille et en relief, ainsi que dans le prêt de livres en braille. Elle propose également des programmes d'apprentissage du braille coréen à destination des enfants et adultes mal et non voyants.
Toutefois, comme me l'a expliqué notre guide sur place, les chiffres de l'enseignement du braille en Corée ne sont pas très encourageants du fait d'un manque important de professeurs spécialisés.
Lors de cette visite, j'ai eu l'honneur d'avoir une présentation complète de l'histoire du braille coréen ainsi que des équipements utilisés en Corée (proches de ceux français) pour lire et écrire. J'ai pu parcourir les rayonnages de l'étage où sont stockés les milliers d'ouvrages en braille destinés à l'emprunt et découvrir les studios d'enregistrement des livres audios bénévolement réalisés par la bibliothèque.
Il s'agit d'une fantastique opportunité que j'ai eue et que j'ai capturée dans un épisode de podcast consacré au thème du braille en Corée.
Pour conclure cette visite fascinante, notre guide nous a offert deux livres d'enfants pour m'aider dans mon apprentissage du coréen. Je dispose en vérité de très peu de documents en braille coréen, difficilement accessibles à l'étranger, à moins de procéder à plusieurs manipulations afin de les transcrire grâce à des traducteurs en ligne. Je les conserve donc précieusement depuis mon retour en France et les relis à l'occasion.

Ma rencontre avec le braille coréen remonte à plus de 3 ans maintenant. Je l'emploie presque quotidiennement et ai pu compter dessus à plusieurs reprises lors de mes différents voyages en Corée. Son apprentissage m'offre un accès inespéré à la langue coréenne, après avoir vainement tenté de l'apprendre pendant presque 7 ans. Je remercie encore mon amie interprète et la Korean Braille Library pour la chance qu'elles m'ont offerte lors de mon dernier séjour d'en découvrir davantage sur ce système braille encore méconnu.
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