Le quintet féminin (G)I-DLE est loin d’avoir dit son dernier mot. Soyeon, Miyeon, Minnie, Shuhua et Yuqi sont revenues récemment avec le nouvel album 2. Un projet solide qui montre une fois encore le cran de ces artistes qui tentent de bouger les codes de la société et l’image des femmes. Mais, s’accompagne à ça une polémique sur une de leurs dernières chansons, Wife.
Cependant, ce n’est pas la première fois que (G)I-DLE fait parler, voire dérange, pour sa musique. Découvrons alors pourquoi (G)I-DLE est aujourd’hui le groupe qui a hissé l’émancipation féminine aux sommets de la K-pop.
(G)I-DLE, UN RETOUR CONTROVERSÉ
Qu'est-ce qui dérange avec Wife, un des derniers titres de (G)I-DLE ? Cela viendrait des paroles un peu trop ambiguës qui renverraient à un acte sexuel. Une partie du public a été choquée et la chaîne KBS a censuré la chanson, pour prévenir les fans mineurs dont ils jugent le contenu comme étant inapproprié.
Et si c’était le cas ? Si la chanson suggérait vraiment des allusions destinées à un public adulte. Mais tourné à la manière de (G)I-DLE. C'est-à-dire, en utilisant la satire. Car la chanson évoque un modèle de femme au foyer qui fait la cuisine et le ménage pour son homme et qui conclut son rôle ironiquement sur une « gâterie ».
Il faut donc appréhender la chanson Wife avec un peu plus de profondeur et s’éloigner du simple fait qu'il y a une connotation sexuelle. Comment ? En se demandant tout simplement « Pourquoi ? ». Il n’y a qu’à regarder les tenues que portent les membres. Le style est minimaliste : perruques et t-shirts monochromes. Elles sont toutes identiques, pour critiquer l’image de la femme objet, conditionnées et sans identité propre.
La condition féminine dans une société patriarcale, voilà le combat mené par (G)I-DLE depuis plusieurs années. Mais pas seulement. Il y a aussi la question du corps, du regard porté dessus et comment les artistes vont le défendre. J’ai déjà évoqué cela à travers mon article sur la réappropriation du corps par les femmes idols.
Pourtant, même si l’on a pu voir par le passé de vives réactions lorsque que les femmes idols montraient un brin d’émancipation ou de féminisme, cela n’empêche pas (G)I-DLE d’être aujourd’hui l’un des groupes les plus populaires dans leur pays et à l’international. Car ce discours est universel et elles le font bien comprendre.
RETOUR SUR L'HISTOIRE DE (G)I-DLE
(G)I-DLE voit le jour en 2018. Cela faisait deux ans que l’agence Cube Entertainment n’avait plus produit de groupe féminin, après la dissolution assez houleuse de 4Minute. Il est composé de six membres : Miyeon, Soojin, Yuqi, Minnie, Shuhua et Soyeon qui avait déjà débuté en artiste solo.
Petit à petit, le groupe va gagner en popularité avec des titres aux sonorités latino. Elles se feront connaître du grand public lors d’une collaboration avec Riot Games, pour célébrer les championnats du monde du jeu en ligne League of Legends. Miyeon et Soyeon vont rejoindre la formation K/DA et sortir l’excellent tube POP/STARS.
(G)I-DLE continuera de séduire le public avec son passage remarqué à l’émission de MNET, Queendom en 2019 ainsi qu’avec la nouvelle direction artistique de ses clips qui vont suivre. Jouissant d’une liberté de création au sein de leur agence, les membres du groupe vont pousser leurs projets en mettant en scène de véritables œuvres d’art. C’est entre autres le cas de Lion et Oh My God, deux titres plus tournés vers la performance et dont le deuxième sera un chef d'œuvre visuel. Lion par ailleurs, montre déjà les signes de cet empowerment que l’on connaît aujourd’hui, avec ce rugissement « I’m a queen like a Lion » (« Je suis une reine comme un Lion »).
Une liberté de création auxquelles chacune des membres va apporter son expérience à la production, à la mise en scène ou à l’écriture des paroles. Le tout chapeauté par la leader Soyeon comme nous l’explique Maëva, administratrice de la fanbase Minnie France (dédiée à la membre Minnie) : « Pour chaque comeback, Soyeon est celle qui réalise une présentation avec un concept et ce qu'elle imagine auprès de Cube Entertainment. On a pu le voir pour Nxde [...] Lors de plusieurs interviews, Soyeon explique aussi qu'elle se bat pour que la chanson titre qu'elle imagine le soit bien pour l'album. Et elle gagne à chaque fois ! »
Malheureusement, un événement va venir secouer (G)I-DLE et les fans de K-pop. À partir de février 2021, une énorme vague d'accusations de harcèlement se propage au sein de l’industrie du divertissement. De nombreux artistes du milieu de la K-pop, du cinéma et des séries sont accusés, mettant beaucoup d’entre eux en suspension d’activités. C’est le cas de Soojin. Réglant de son côté ces accusations, elle va s’éloigner de (G)I-DLE en mars et finit par quitter l’agence Cube Entertainment et son groupe le 14 août.
Il faudra alors attendre mi-mars 2022 pour que (G)I-DLE fasse son grand retour. Soit dix mois après leur précédente sortie en groupe. C’est alors qu’arrive le projet I Never Die avec la tornade Tomboy.
TOMBOY : LE GRAND TOURNANT ?
En une phrase (G)I-DLE a non seulement mis tout le monde d’accord (du moins ses fans), mais a surtout décidé de faire un doigt d’honneur à quiconque se mettrait en travers de son chemin. Cette phrase que tous les fans ont pu scander, c’est : « I’m a f*cking Tomboy ».
Alors, non c’est n’est pas la première fois que le terme « f*ck » apparaît dans une chanson K-pop. Ce n’est pas non plus un scandale en soi. Mais cette phrase est lourde de sens. C’est le cri de femmes qui veulent se hisser à l’égal des hommes. L’anglicisme « tomboy », se définit comme étant une femme à l’apparence masculine. Sous-entendant donc ici, le refus total de s’identifier à une femme docile, objet, comme le dit clairement Soyeon dans les paroles : « Do you want a blonde barbie doll ? […] I’m not a doll » (« Est-ce que tu veux une poupée Barbie blonde ? […] Je ne suis pas une poupée »).
Maëva remarque la prise de position forte du groupe avec l’arrivée de ce tube : « Depuis Tomboy, leurs musiques et surtout les title (chansons titres) sont devenues, à mon sens, très engagées et féministes. C'est une vague de fraîcheur, ce sont des femmes qui s'expriment et assument pleinement leur féminisme. Cela plaît beaucoup à l'international pour ces raisons. D'autant plus qu'elles sont autrices-compositrices, ce qui est plus personnel. C'était un pari risqué connaissant la société dans laquelle elles vivent, mais qui a porté ses fruits ».
Les femmes peuvent jurer, boire de l’alcool ou s’habiller comme des hommes. La démarche est donc là de déconstruire l’identité par le genre. L’outro de la chanson clamant le fait de n’être « ni homme, ni femme » mais bel et bien (G)I-DLE. C’est dans cette démarche que le groupe va devenir encore plus unique et chef de file de l’émancipation féminine dans l'industrie de la K-pop. Le changement est donc en marche.
À LA GLOIRE DU CORPS
S’il y a bien une thématique qui ressort parfaitement de ces derniers tubes, c’est le corps. Et le comeback du groupe avec la chanson Nxde en est le parfait exemple. Le clip dévoile les filles à travers l’image de sexe-symboles de la pop culture et de l’art. Soyeon en Madonna, Minnie en Marilyn Monroe, Shuhua au centre d’une composition de statues de Venus Pudica, le groupe au complet en danseuses de cabaret. Mais aussi, en étant elles-même.
La chanson pointe du doigt la sexualisation forcée du corps des femmes et la réaction fascinée et/ou offusquée du public qui les regarde. Comme le décrit parfaitement bien la séquence où Soyeon se déshabille, où l’on peut lire des messages haineux envers elle.
Le but de Nxde n’est donc pas de promouvoir une image sexualisante du corps, mais de la dénoncer. Ce que le public a compris, mais qui pourtant n’a pas plu à Cube Entertainment au tout début. Soyeon raconte lors de l’émission Knowing Brothers, que pour l’agence le titre de la chanson était inapproprié. Elle explique qu’elle a « écrit la chanson en pensant que c’était notre forme la plus simple (être nu) ». Voulant montrer que « ce n’était pas un mot sexuel ».
Et quand je vous disais que le message de (G)I-DLE avait une portée universelle, c’est qu’il ne s'adresse pas seulement à son public Coréen. Car leur univers est de plus en plus cosmopolite. On peut le remarquer au casting de la figuration dans les clips du groupe, comme Nxde, Allergy, Queencard et la dernière en date, Super Lady. Le message est pour tout le monde.
Queencard d’ailleurs, est certainement l’un des sons les plus emblématiques de l’année 2023, qui possède lui aussi sa petite polémique. La chorégraphie de la chanson contient un passage où Soyeon soutient sa poitrine et Yuqi attrape ses fesses. Pourtant, il suffit de s’attarder sur les paroles pour comprendre la gestuelle : « My boob and booty is hot » (« mes seins et mes fesses sont chauds »). Ainsi, on peut accepter que la chorégraphie se doit aussi d’imager les paroles. Et si on lit l’entièreté du texte du refrain, sans simplement isoler les mots, on peut très vite comprendre que les membres parlent ici d’une ode à notre corps. D’aimer chacune de ses parties, comme Soyeon l’explique dans son interview pour le Cosmopolitan Korea et l’origine de ces paroles. Et si l’on se sent sexy et belle (ou beau) ainsi, ne réprimons pas notre plaisir.
Le corps est ce qui se soumet le plus aux regards et aux critiques dans le milieu du divertissement, des réseaux sociaux ou du showbiz. C’est souvent sous l’angle ironique, que (G)I-DLE va dénoncer cette stéréotypisation de la société. Donc plutôt que de le laisser aux mains des agences, les membres montrent qu’il leur appartient bel et bien et qu’elles en sont fier. Et quoi de plus fort, quand on sait que Soyeon a essuyé de nombreuses critiques sur son physique par le passé. Notamment lors de l’émission Produce 101. Voilà donc une belle revanche !
POURQUOI (G)I-DLE MARCHE AUTANT ?
Je n’ai pas de réponse précise à cette question, mais il suffit de se tourner vers le public occidental de la K-pop, en grande majorité progressiste, qui peut se retrouver parfaitement dans les paroles. Notamment le public féminin. Aujourd’hui, la multiplication des réseaux sociaux et de ses utilisateurs, soumet beaucoup plus le corps des femmes (ainsi que des hommes) aux regards d’inconnus. Et les histoires de bodyshaming et de harcèlement sont présentes.
Entendre ces artistes affirmer que, comme tout le monde, elles essuient de nombreuses critiques et à présent veulent les dénoncer, cela fédère. Càtia, fan de (G)I-DLE, est particulièrement sensible à ces textes forts : « C'est en partie lorsque j'ai commencé à réécouter de la kpop, notamment BTS et (G)I-DLE, [...] que j’ai commencé à essayer de penser d'une autre manière. Sans pour autant faire cliché, l'amour de soi, être capable de me voir sous une autre lueur, me sentir belle, sexy, cute [...] Certes ce n'est pas facile, mais à l'écoute de leurs chansons, ça le devient progressivement un peu plus ».
De plus, les cas de groupes féminins se faisant exploiter et sexualiser par leurs agences, comme Stellar, ont beaucoup touché le public par le passé. Voir aujourd’hui un groupe comme (G)I-DLE combattre tout cela, dans une liberté d’expression semblerait-il totale, c’est assez rare et cela fait plaisir. Comme le dit Lee Nao, autre amatrice du groupe : « Elles écrivent leurs paroles avec une idée précise en tête et un message à faire passer. Leur message. »
Les fans de K-pop savent se mobiliser quand il s’agit de militer pour défendre les droits des individus ou affronter les injustices. Par exemple, lors du boycott massif des fans de LOONA après l’expulsion de la membre CHUU et les révélations d’exploitation de ses camarades de groupe. Les fans ne font pas les choses à moitié. Donc, quand (G)I-DLE sort des chansons militantes avec un discours fort, pour l’émancipation des femmes et la réappropriation de leur corps, ils répondent présent. Filles comme garçons.
Joe, un autre fan se sent concerné par le message transmis par (G)I-DLE même en tant qu’homme. Il « estime que c’est (le féminisme) un combat important » et il « trouve ça génial qu’un groupe aussi connu que (G)I-DLE soit le porte-étendard de ce combat ».
ET EN CORÉE DU SUD ?
Comme je l’ai déjà évoqué dans mon précédent article, il est arrivé de nombreuses fois que des idoles femmes se fassent harceler lorsqu’elles prennent une position féministe. Et pourtant, lorsque que je me baladais dans les rues de Séoul ou Busan l’été dernier, j’entendais partout, dans les rues, Queencard à fond.
Serait-ce donc là, le début d’un changement des mœurs ? D’une possibilité pour les femmes de s’exprimer et de dénoncer ? Mais surtout d’être soutenu par leur public et mieux que ça, d’être auréolé de succès ? Comme pour (G)I-DLE. Le public s’identifie et là est le coup de maître du groupe. Joe l’affirme : « Le groupe […] ose prendre la parole et revendique le pouvoir aux femmes : être libre, disposer de son corps, l'acceptation de soi. Des thématiques que l'on n'a pas forcément l'habitude de retrouver dans la K-pop ». Ce qui leur permet ainsi d’avoir tous les regards et les oreilles braqués sur elles.
C’est pourquoi, je trouve que le titre principal de leur récent album 2, intitulé Super Lady, leur va à ravir. Décors monumentaux, rythme militaire, hymne à la gloire des femmes. Ici, on ne parle pas d’amour, mais de combat et le clip est assez parlant sur le message à faire passer.
C’est un hymne encore plus féroce et rentre-dedans que les précédentes productions au sujet des inégalités hommes/femmes. Soyeon, Miyeon, Minnie, Yuqi et Shuhua sont des guerrières et ne veulent plus se soumettre. Elles rejettent donc totalement l’image de la femme docile évoquée dans Wife pour endosser le rôle de super femmes.
LE COMBAT CONTINUE
Ce qui est fascinant dans cette histoire, c’est que la partie du public anti-féministe semble bien silencieuse aujourd’hui. Elle existe certainement toujours et sera là pour envahir l’espace commentaire des membres lorsqu’elles feront des vidéos live avec leurs fans, par exemple. Mais de ce qu’on entend le plus aujourd’hui, ce sont les éloges et le succès. Et (G)I-DLE continuera quoi qu’il en soit de s’exprimer librement ! Et Lee Nao d’appuyer : « (G)I-DLE n'est pas un énième groupe de K-pop, là pour enrichir une agence et des investisseurs […] Elles sont là pour porter des messages forts, quitte à risquer leur carrière en Corée du Sud ».
(G)I-DLE ne fait pas que dénoncer. Le groupe encourage aussi son public, lui apprend à s’aimer comme il est, à faire face aux affronts de la société et des gens malveillants. Les chansons possèdent des messages forts, et même si elles utilisent souvent le ton de l’ironie, elles cherchent avant tout à ce que chaque personne qui se retrouve dans leurs paroles, puisse se sentir bien dans sa peau, bien dans son corps.
La mission de (G)I-DLE est aujourd’hui réussie, mais elle n’est pas terminée. Les cinq femmes se sont hissées parmi les sommets de la K-pop, et de toute en haut le public les verra encore plus et leur combat se propagera encore plus loin.
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