Le Grand Magasin des Rêves et Le Grand Magasin des Rêves 2, Les rêves continuent, de Lee Mi-ye, paraissent en France en 2024 et 2025. L’intrigue nous plonge dans un monde onirique, où magie et réalisme se côtoient parfaitement. L’autrice a réussi à écrire un ouvrage universel qui s’inscrit dans la nouvelle tendance du K-Healing, autrement dit les “livres qui guérissent” venus de Corée.
Le Grand Magasin des Rêves
Les deux tomes sont respectivement sortis en 2020 et 2021 en Corée. Vendus à plus d’un million d’exemplaires dans le contexte du COVID, ils sont traduits en français par Choi Kyungran et Pierre Bisiou et publiés aux Éditions Picquier en 2024 et 2025.

Les livres suivent les aventures de Penny, jeune habitante d’une ville où les Terriens ne peuvent se rendre que pendant leur sommeil. Dans cette ville se trouve le Grand Magasin des Rêves, tenu par Monsieur Dollagoot. Penny souhaite y être embauchée afin d’aider les clients à dénicher les rêves qu’ils désirent faire dans la nuit.
Au fil de la lecture, nous découvrons donc ce monde onirique à travers les yeux émerveillés de Penny. L’autrice réussit le tour de force de nous emmener dans un univers fictif mais qui reprend les codes du monde réel.
Les songes sont proposés comme des films interactifs dont les dormeurs sont les héros, créés par des producteurs aux spécialités diverses — rêves pour animaux, concentrés sur le sens du toucher ou de la vue, cauchemars… — et récompensés lors de remises de prix. Parmi les personnalités marquantes, on peut citer Maxim, qu'on regarde bizarrement à cause du thème sinistre de ses rêves Surmonter un traumatisme, le Père Noël Nicolas, qui ne vend ses réalisations qu'en décembre, et Aganap Coco qui parvient à composer des rêves prémonitoires.
Le Grand Magasin des Rêves fonctionne comme n’importe quel magasin : promotions, marketing, fidélisation, employés prêts à aider… Seule distinction notable : on ne paie pas avec de l’argent. Le paiement est différé et se compte en émotions ressenties pendant le sommeil et au réveil : libération, accomplissement, confiance en soi, calme, mais aussi rage, regrets ou sentiment de perte…
Le tome 2 nous envoie encore plus loin avec le Centre de Tests et le Service des Réclamations. Penny doit alors gérer les plaintes déposées par les dormeurs mécontents ou déçus. Car les rêves ont la capacité d’influencer notre humeur, voire de changer nos vies. Au fil des deux romans, l’autrice quitte parfois le monde des songes pour illustrer son impact dans le monde réel, avec des personnages aux questionnements divers que leurs fantasmes nocturnes vont faire évoluer.
Un livre fondamentalement universel avec un soupçon de Corée
Les rêves, tout le monde en fait, qu’on s’en rappelle, qu’on les oublie ou qu’on soit un rêveur lucide (une personne consciente d’être en train de rêver). Et bien sûr, je n’y fais pas exception. Je tiens d’ailleurs un journal dans lequel j’écris le contenu de mes songes avant qu’il ne s’efface de ma mémoire. Je marque également la fréquence à laquelle je me souviens d’avoir rêvé et note l’émotion générale ressentie.

Dans le Grand Magasin, les rêves font partie de deux catégories. Les premiers sont invariables, identiques pour tous. Parmi ceux mentionnés par Lee Mi-ye, on compte Se transformer en aigle et survoler une falaise, Solitaire dans la foule ou Manger des plats délicieux. La seconde catégorie comprend les rêves-souvenirs, qui intègrent une part intime des dormeurs. Par exemple, Se promener avec son maître (à destination des chiens), Rencontre avec une personne chère ou une ex-petite amie.
Alors, ce livre, je l’ai dévoré. J’ai adoré la rationalité du décor. Tout semble logique, réfléchi et intelligent. Quand j’ai vu que l’autrice Lee Mi-ye avait fait des études d’ingénieur, comme moi, j’ai reconnu un esprit à la fois cartésien et créatif. Chaque problème a sa solution, à la fois sensée et amusante. Par exemple, dans le monde des rêves, chacun arrive tel qu’il s’endort : les uns en pyjama, les autres sans le moindre vêtement. Pour éviter tout embarras, d’étranges créatures nommées Noctylucas veillent discrètement, distribuant robes de chambre et peignoirs aux rêveurs nus.
Elle fait quelques fois allusion à sa culture coréenne : lorsqu’un personnage déguste un kimbap ou quand elle évoque le jumadeung, un mot intraduisible coréen qui décrit le fait de voir sa vie défiler devant ses yeux avant de mourir. Dans le tome 1, un dormeur coréen tente de surmonter le traumatisme de son service militaire. Plus loin, une Coréenne rêve constamment qu’elle passe un examen, même si elle n'est plus étudiante. C’est un témoignage de la pression scolaire et sociale particulièrement haute en Corée. Enfin, le respect envers ses parents — une partie du hyo coréen, le devoir filial — trouve un écho dans le rêve Vivre une semaine dans la peau de ses parents.
Le K-Healing
Malgré des thèmes parfois difficiles, le texte ne tombe pas dans le pathétique ni la tristesse. Il est ici surtout question de résilience et de rédemption. La lecture est fluide, douce et sans prise de tête. Le rythme est lent, il n’y a qu’à se laisser porter par cet univers enchanteur. C’est le principe du K-Healing, les livres qui guérissent venus de Corée, et qui fleurissent dans les librairies.
J’ai de plus en plus de mal à me tenir à jour des nouvelles sorties et ma pile à lire ne cesse de grossir. Cependant, je me suis déjà plongée dans La fabuleuse laverie de Marigold (Yun Jungeun, 2024), Une saison à l’atelier de poterie (Yeon Somin, 2025), Bienvenue à la Librairie Hyunam (Hwang Bo-reum, 2024), L’Odeur des clémentines grillées (Lee Do-woo, 2023) et La Librairie des Souvenirs (Song Yu-jeong, 2025).

Dans ces romans, on retrouve des ingrédients marquants : un lieu bien défini, comme un commerce, un café ou le Grand Magasin des Rêves ; des personnages en souffrance qui se posent des questions suite à une rupture, un burn-out ou un changement de vie ; parfois un soupçon de fantastique utilisé en tant que métaphore d’une transformation ou d’un changement intérieur. Le rythme de la narration est généralement lent, nous plongeant dans une atmosphère apaisante pour nous faire réfléchir sur la place du travail dans nos vies, sur nos relations avec celles et ceux qui nous entourent ou sur notre passé et les cicatrices qu’il a laissées derrière lui.
Ces histoires nous rappellent qu’il n’est pas toujours nécessaire de tout comprendre pour aller mieux. Parfois, il suffit de ralentir, de se reconnecter à soi-même et de rêver un peu.
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