Une immersion au Marché du Film
En mai 2025, j’ai eu l’opportunité de participer au Marché du Film (Cannes), le plus grand rendez-vous professionnel de l’industrie du cinéma. Derrière les projecteurs et les montées de marches du festival de Cannes, ce marché est un espace où producteurs, réalisateurs, distributeurs et diffuseurs du monde entier se rencontrent, échangent, négocient et, surtout, construisent les films de demain.

Focus sur l’Académie France-Corée du cinéma
Cette année, un événement en particulier a retenu toute mon attention : il s’agit de la rencontre organisée par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et le Korean Film Council (KOFIC), qui mettait en lumière la deuxième édition de l’Académie France-Corée du cinéma. Ce programme unique illustre le lien grandissant entre ces deux pays passionnés de cinéma.
Lancée en 2023 par le CNC et le KOFIC, en partenariat avec deux écoles prestigieuses, La Fémis et la Korean Academy of Film Arts (KAFA), cette académie réunit chaque année six jeunes auteurs français et six coréens, tous désireux de développer un projet de long-métrage. Le programme encourage une approche tournée vers la coproduction et l’international. Cannes a accueilli le premier temps fort de cette résidence, où ces douze talents ont présenté leurs projets lors de sessions de pitchs ouvertes. La deuxième étape aura lieu en septembre à Busan, au cœur du plus grand festival de cinéma d’Asie. (d'après le CNC)
Un partenariat renforcé entre Cannes et Busan
Ce programme s’inscrit dans une dynamique plus large qui rapproche Cannes et Busan. En 2023, les deux villes ont signé un protocole d’entente visant à renforcer leurs échanges dans les domaines du cinéma et des industries créatives. Leur objectif commun est clair : favoriser la coproduction audiovisuelle, organiser des résidences artistiques, soutenir l’éducation à l’image, multiplier les ponts entre professionnels et étudiants et agir comme moteur de développement économique et culturel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces deux villes font partie des rares “Villes créatives” reconnues par l’UNESCO dans la catégorie cinéma. (d'après l'ambassade de France en Corée)
Le rayonnement du cinéma coréen à l’international
Aujourd’hui, la Corée illustre plus que jamais la puissance du cinéma comme outil de rayonnement culturel. Depuis les succès mondiaux de films comme Parasite ou Old Boy, le cinéma coréen s’impose comme un acteur clé du soft power du pays. Soutenu par des politiques publiques ambitieuses et des institutions comme le KOFIC, il séduit par son audace, sa diversité et sa capacité à toucher un public international.

Portrait d’une jeune réalisatrice coréenne prometteuse
Dans ce contexte, j’ai eu la chance d’échanger avec l’une des réalisatrices coréennes les plus prometteuses de cette Académie France-Corée. Elle s’appelle Jeon Soyoun et incarne cette nouvelle génération de cinéastes ouverts sur le monde, curieux de collaborations et convaincus que le cinéma reste un langage universel.
Diplômée de la KAFA, elle a déjà réalisé trois courts-métrages et écrit deux scénarios de longs-métrages. Son dernier projet, GAKTAKI (Tipulidae Virus), mêle thriller et science-fiction. Elle l’a d’ailleurs présenté cette année lors du Festival de Cannes et du Marché du Film pour trouver des partenaires internationaux, avant de poursuivre cette démarche lors du Festival international du film de Busan.
À travers son parcours et sa vision, elle incarne pleinement l’esprit de cette Académie France-Corée. Celui d’une génération de cinéastes ouverts au dialogue interculturel, persuadés que les histoires n’ont pas de frontières.
interview exclusive
Dans l’interview qui suit, réalisée par échange d’emails en anglais, elle revient sur sa démarche artistique, ses ambitions internationales et son aventure cannoise. Un témoignage intéressant, à l’image de ce partenariat entre la France et la Corée qui ne cesse de se renforcer, projet après projet, film après film.

Camille : Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans le cinéma, et comment cette motivation a-t-elle évolué au fil du temps ?
Soyoun : Depuis toute petite, j’ai toujours rêvé d’être scénariste. Enfant, j’écrivais souvent de petites bandes dessinées et des histoires courtes. Puis, au collège, j’ai dû abandonner l’école à cause d’une grave dermatite atopique. C’était une période où mes amis comptaient énormément pour moi, mais j’étais coincée chez moi, isolée. Pour combattre la solitude, je me suis plongée dans les films, les séries et les bandes dessinées. Ces œuvres sont devenues mes fidèles compagnes, ma fenêtre ouverte sur le monde. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le cinéma d’auteur. Ça a été une véritable révélation : j’ai compris que le cinéma pouvait raconter des histoires de façons multiples et fascinantes.
Grâce aux films d’auteur, je me suis intéressée non seulement à l’histoire mais aussi à la façon dont elle est transmise par l’image. C’est là que j’ai commencé à rêver de raconter mes propres histoires au cinéma.
C : Pourquoi avez-vous choisi d’étudier à la KAFA ?
S : La KAFA est réputée comme l’école de cinéma la plus exigeante de Corée, et on y apprend énormément grâce à son approche rigoureuse. Beaucoup de réalisateurs coréens que j’admire comme Bong Joon-ho, Hur Jin-ho ou Jang Joon-hwan sont passés par cette école. Leur parcours m’a donné envie de tenter ma chance.
Honnêtement, j’ai été très surprise d’être acceptée car la KAFA est réputée pour être très difficile d’accès, et je n’avais aucune expérience préalable en réalisation. J’ai beaucoup douté de moi durant la formation, notamment à cause de mon manque de connaissances et d’expérience en cinéma. Mon passage à la KAFA a été une période de doutes constants, mais je crois que cette expérience m’a permis de progresser dans mon parcours de réalisatrice.
C : Vous avez écrit plusieurs courts-métrages et scénarios. Où puisez-vous votre inspiration créative (expériences personnelles, littérature, musique, etc.) ?
S : Mes sources d’inspiration évoluent sans cesse. Autrefois, je m’inspirais surtout d’autres formes d’art comme la littérature ou la musique. Mais à la KAFA, j’ai trouvé une nouvelle source : l'émotion de l'anxiété.
À cette époque, j’aimais beaucoup explorer les situations de “défamiliarisation”, ces moments où l’on ressent l’étrange dans le quotidien. Mes premiers courts-métrages sont nés de cette idée : Sleep Sound partait d’une question simple : “Et si les sons ASMR qui m’aident à m’endormir devenaient des bruits angoissants ?”; My Sweet Home est né de l’idée : “Et si le lieu que je considère comme le plus sûr, ma maison, était en réalité une scène de crime ?”.
Aujourd’hui, je pars plus souvent de mes expériences personnelles. Je m’intéresse à des émotions subtiles ou à des curiosités étranges que les autres négligent.

C : Y a-t-il un lieu en Corée, votre ville natale ou un paysage qui nourrit votre imagination ?
S : En y réfléchissant, je ne crois pas avoir encore vécu un choc créatif majeur lié à un lieu spécifique. En revanche, je trouve souvent de l’inspiration dans les situations où l’extraordinaire surgit dans des espaces ordinaires.
Dans ce sens, certaines ruelles coréennes m’inspirent, comme à Myeongdong. C’est un quartier très animé et rempli de touristes. Mais dès qu’on s’aventure dans les petites ruelles, un tout autre monde s’ouvre : elles sont sombres, étroites, presque inquiétantes. On y trouve des boutiques étranges, mais aussi de vieux restaurants très appréciés. Ces lieux, qui semblent banals mais cachent une part de mystère, stimulent mon imagination.
C : Y a-t-il une tradition, une légende ou un événement historique coréen que vous aimeriez voir davantage représenté au cinéma ?
S : Je ne prétends pas tout connaître sur les traditions coréennes, mais il y a effectivement beaucoup d’éléments fascinants encore peu exploités.
Personnellement, j’aimerais beaucoup intégrer un jour le Ganggangsullae dans un film. C’est une danse traditionnelle où des femmes se tiennent par la main et tournent en chantant sous la pleine lune. L’image est extrêmement puissante, et je trouve qu’elle a un potentiel cinématographique immense. Rien que de l’imaginer à l’écran m’émerveille déjà.
C : Quel rôle joue, selon vous, le cinéma coréen dans la perception mondiale de la Corée aujourd’hui ?
S : Avec la popularité mondiale de la K-pop et des séries Netflix coréennes, l’image de la Corée à l’étranger a beaucoup évolué. Mais ces contenus montrent surtout un visage jeune, dynamique parfois kitsch de la Corée, ce qui est loin de tout représenter.
Le cinéma coréen, lui, peut offrir une image plus nuancée et profonde du pays. Il peut dévoiler des aspects subtils de la société en mettant en avant des personnages aux parcours variés.

C : Qu’est-ce qui vous a motivé à postuler à l'Académie France-Corée à Cannes, et qu’espériez-vous retirer de cette expérience ?
S : Je crois que les histoires n’ont pas de frontières. Depuis longtemps, j’ai cette envie de tisser des liens avec des artistes internationaux et d’imaginer des collaborations qui aient du sens.
C’est avec cet esprit que j’ai postulé à l'Académie France-Corée. Le projet que j’ai présenté, GAKTAKI, me semblait particulièrement adapté à une telle démarche car il porte en lui une dimension universelle, tout en étant ancré dans une culture spécifique. Ce que je recherchais avant tout à travers ce programme, c’était l’opportunité d’échanger avec des créateurs et des producteurs venus d’horizons différents. J’avais envie de confronter nos visions, de partager des idées et d’explorer ensemble ce que pourrait être un vrai projet de cinéma collaboratif et interculturel.
C : Comment vous êtes-vous préparée à présenter un projet aussi ancré dans la culture coréenne à un public international et diversifié ?
S : Présenter GAKTAKI, une histoire profondément liée à la jeunesse coréenne, à un public international était un vrai défi.
Pour cela, j’ai choisi de me concentrer sur des expériences universelles. Par exemple, j’ai évoqué la pandémie de COVID-19, un événement qui a bouleversé le monde entier pour établir un terrain commun et une compréhension partagée.
Plutôt que d’insister sur les particularités culturelles ou sur le contexte coréen en tant que tel, j’ai préféré mettre en lumière les émotions humaines universelles au cœur du récit : les liens familiaux, la quête d’identité, la résilience.
À ma grande joie, le public a très bien réagi à cette approche. Mais ce qui m’a encore plus marqué, c’est de voir que les spectateurs ont aussi été sensibles aux aspects que je croyais trop “coréens”. Cela m’a fait prendre conscience que beaucoup des problèmes auxquels font face les jeunes en Corée résonnent finalement bien au-delà des frontières.
C : Avez-vous constaté des différences culturelles dans la façon dont les professionnels internationaux ont réagi à votre projet par rapport aux professionnels coréens ?
S : Oui, la différence m’a sauté aux yeux.
En Corée, lors des présentations de projets, l’accent est souvent mis sur la dimension commerciale : comment attirer le public, quels éléments pourraient rendre le film rentable, etc.
À l’inverse, les professionnels internationaux se sont beaucoup plus intéressés à l’intention artistique et à la vision du réalisateur. Ils m’ont posé des questions sur ce que je voulais réellement exprimer, sur ce qui me tenait à cœur dans ce projet.
Pour moi, qui débute encore, c’était une approche très rafraîchissante et enrichissante. Bien sûr, en tant que réalisatrice en Corée, je sais à quel point il est important de prendre en compte les attentes du public et la viabilité commerciale. Mais cette expérience m’a rappelé une chose essentielle : avant de penser à tout cela, il faut savoir clairement pourquoi on veut raconter une histoire. Cette clarté, selon moi, constitue la base solide sur laquelle tout le reste peut se construire.
C : Vous voyez-vous explorer davantage les coproductions ou les projets internationaux dans votre carrière ?
S : Absolument. C’est même un objectif que je poursuis activement. Aujourd’hui, une bonne histoire ne peut plus être enfermée dans un seul pays. Certaines histoires peuvent être plus facilement comprises dans certaines cultures, mais celles qui touchent profondément transcendent les frontières.
J’aspire à être une créatrice sans frontières. C’est pourquoi je suis très motivée à explorer les coproductions et les projets internationaux. Mon projet actuel, GAKTAKI, s’inscrit d’ailleurs pleinement dans cette démarche : je suis en recherche active de partenaires pour une coproduction internationale.
Je suis persuadée que ce projet possède des qualités qui pourraient vraiment s’épanouir dans une collaboration au-delà des frontières, et je continue d’explorer activement toutes les opportunités en ce sens.
Clôture de l’interview : remerciements
Merci à Jeon Soyoun pour cette interview enrichissante et inspirante. En tant que grande admiratrice du cinéma coréen, échanger avec une scénariste coréenne m’a offert une véritable plongée dans cette industrie et m’a aussi rappelé que les histoires ont ce pouvoir unique de créer des ponts entre les cultures, en révélant à la fois ce qui nous unit et ce qui nous rend uniques.
Pour collaborations internationales : Jeon Soyoun - zanna27@daum.net
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